Conférence de Marie-José Chombart de Lauwe

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D'une adolescente à une résistante

Marie-José Chombart de Lauwe, ou Marie-Jo comme on avait apparemment l'air de la nommer est fille d'un père médecin et d'une mère sage-femme. Elle a l'habitude de passer ses vacances chez sa grand-mère, à l'île de Bréhat. Adolescente, elle entre en classe de première jusqu'à ce qu'en Juin, le Baccalauréat se voit annulé : la guerre éclate. Marie-Jo nous décrit comment la directrice de l'établissement a renvoyé les élèves chez eux en leur faisant entendre le maréchal Pétain qui déclarait la France humiliée. Mais une fois de retour dans sa famille, on entend parler du fameux appel du Général de Gaulle le 18 juin 1940 : grâce aux récepteurs des phares de l'île de Sein,  la nouvelle se répand d'abord à Sein, puis dans les autres îles de la côte bretonne. Il faut continuer à se battre et ce sont alors 80 jeunes étudiants qui rejoignent la cause de De Gaulle. Une fois les épreuves de Bac réussies, Marie-Jo voit ses parents et un couple d'amis commencer ce qu'on a appelé la résistance en aidant des personnes à embarquer pour Londres. C'est alors que la jeune bachelière intègre le « Georges France-31 », un groupe de résistance divisé en 2 sous-groupes selon les conseils d'un messager de Londres : un groupe de personnes chargée de dissimuler les aller et venues des Anglais, l'autre était composé de 14 personnes qui devaient collecter des renseignements sur les positions allemandes. Entre les cahiers de cours de Marie-José, elle dissimulait des plans sur les défenses côtières allemandes, ainsi pouvait-elle transmettre des renseignements sous prétexte de rendre visite à ses parents à Bréhat. Mais en novembre 1941, le premier groupe est arrêté et guillotiné. Puis vient le tour du deuxième, celui dans lequel résistait Marie-Jo, 14 personnes sont arrêtés. Marie-Jo a 19 ans lorsque la Gestapo vient frapper à sa porte de sa chambre de Rennes pour l'interpeller. Avec ses parents, ils sont conduits dès le lendemain à Angers pour être interrogés, s'en suit toute la torture morale et physique qu'infligent les officiers SS. Deux mois plus tard, on les transfert à la prison de la Santé à Paris. La maison d'arrêt est d'une insalubrité inconcevable, tellement insalubre qu'on peut communiquer à travers les murs. Puis il faut lutter, il faut «  rester des êtres pensants » comme le souligne Marie-José. Alors on écrit des poèmes, on se pose des problèmes de maths, on chante,  on donne tort aux officiers SS qui qualifient les prisonniers d'animaux. Pendant son incarcération, l'adolescente fait la connaissance de sa voisine de cellule, France Bloch - Sarrazin. Cette femme était une chimiste de 29 ans qui fut arrêtée pour avoir provoqué des explosions à des fin de résistance contre les nazis. Elle était «  ce qu'on pouvait être de pire pendant l'occupation », à savoir juive, communiste et « terroriste ». Le jour de sa condamnation, c'est toute la division qui fredonna la Marseillaise, officiellement les nazis n' exécutaient pas les femmes, mais France fut bel et bien emmené en douce à Hambourg et guillotinée. Ce que Marie-Jo retient de cette période carcérale, c'est la volonté de rester humain, elle se rappelle alors d'un jeune, surnommé Toto, qui tous les matins se réjouissait d'être en vie : «  Encore  un jour que je vais voir, quand je partirai dites aux jeunes qui viendront après moi que je suis tombé pour qu'ils connaissent la paix »

La déportation et la vie dans le camp

Au printemps 1943, lors d'un dernier interrogatoire, la jeune Marie est classée par la Gestapo NN : Nuit et Brouillard, caractérisant les personnes destinées aux camps. Elle est déportée au camp de Ravensbrück (80 km au N-O de Berlin) avec sa mère. Son père a été déporté à Buchenwald où il est décédé peut de temps après. D'autres amis à elle sont massacrés au Struthof, le corps de son ami France et d'ailleurs enterré dans ce même camp. A son arrivée au camp, Marie-José est apeurée par le visages squelettiques des femmes qui reviennent du travail. La déshumanisation commence, on les déshabille, les fouille dans les endroits même les plus intimes, elles ne sont plus que des numéros. Puis vient la vie dans le camp de Ravensbrück. Elle est rythmée par la sirène du lever à 3h20 pour l'appel qui durait de 1h à 2h debout, immobile et dehors, en uniforme avec simplement une chemise, une culotte et une robe rayée: pas de change malgré les pluies incessantes, le froid d'une région proche de la mer Baltique où la température pouvait atteindre -30°C. Les femmes enchaînaient 12 jours de travail avec une brève pause le midi, de quoi avaler une soupe si peu nourrissante. Le soir, le sommeil était très dur à trouver à cause des poux et de la galle. Les femmes travaillaient dans la construction de chemins de fer, dans des carrières de sable. Marie-José elle, a travaillée dans l'entreprise Siemens où elle s'occupaient d'interrupteurs . L'entreprise qui employait des détenus payait aux nazis 4 € à 5 € par travailleur-déporté alors que les dirigeants du camp ne dépensaient que 4 à 5 pfennigs /détenus pour «l'entretien» de chaque déporté. Les bénéfices des nazis étaient énormes. Les cadres de l'entreprise étaient des civils, « Certains contremaîtres étaient tolérant s» ajouta Marie-josé, « d'autres approuvaient les agissements nazis ». A la question «  A quoi bon faire travailler des femmes mal nourries et faibles » les SS répondaient : «  Qu'importe, ce sont des stuk ( choses) ». L'octogénaire insiste alors sur le fait qu'il n'est pas juste de dire que ce n'était qu'un camp de travail, c'était un crime contre l'humanité.

Ravensbrück ou 3 crimes contre l'humanité

*Un groupe de jeunes femmes avaient le droit à des tabourets, en majorité polonaises. Ce n'était pas un privilège précise Marie-José, ces femmes étaient des « rats de laboratoire ». On les opéraient pour des tests médicaux dans des pseudos-laboratoires. Pourquoi des tabourets? Parce qu'on leur ouvraient les jambes parfois à plusieurs reprises, et quand elles se sont rebellées, on les a conduites dans des blockhaus et on les a opèrées, mais sans anesthésie. Ces filles occupaient le même bâtiment que Marie, celui des NN, « On en a sauvée quelques unes » dit-elle.

*Autre crime selon la déportée, celui contre les Tziganes. Femmes et enfants furent castrés dans les mêmes laboratoires vétustes. Lorsqu'elle ose en parler au commandant du camp, l'homme lui répond en souriant que ce ne sont que des Tziganes.

*Le troisième crime contre l'humanité est celui dans lequel Marie-José était le plus impliquée. Les femmes enceintes n'avaient pas le droit d'entrer dans les camps, mais certaines avaient échappées au contrôle. Lorsqu'elles accouchaient, les bébés étaient de suite assassinés. Puis avec le nombre croissant de nouveau déportées, on entassa les nouveau nés dans une pièce spéciale. Marie-josé fut affectée à ce travail. Elle côtoya alors le pire, dans les conditions plus que précaires, elle tentait avec d'autres détenues de faire vivre les nourrissons. Alors on confectionnent des biberons avec les moyens du bord, des gants de caoutchouc volés au SS et quand on demande de la mort aux rats pour tuer les rongeurs, on leur rigole au nez. Sur les 500 dernières naissances au camp, on ne retrouva que 40 nourrissons vivants lors de la Libération.

La Libération

Le 3 mai 1945, les bombardements font rage. Elle doit rejoindre le camp de Mathausen accompagnée de sa mère. Pour y parvenir le groupe de déportées a dut monter 5 km à pied, ceux qui ne tenaient pas le coup étaient exécutés sur le champ. Marie-José nous confia avoir eue très peur pour sa mère, faible. Après avoir travaillé sur le camp, le 22 Avril, alors qu'elles rejoignait son baraquement, des personnes de la Croix Rouge leurs annoncent que   l'Allemagne,est vaincue, c'est la Libération. Marie-José atteignit la Suisse au bout de 3 jours de camion où elle fut soignée, désinfectée et nourrie. D'Annemasse, elle rejoignit Paris en train pour arriver à l'Hôtel Lutécia où étaient regroupés tous les déportés ou prisonniers français.

La vie après la déportation

Marie-José arriva chez elle en Bretagne à l'âge de 22 ans le 08 mai 1945 précisément, sa grand mère l'attendant sur le quai. Elle apprend que son père est décédé. Elle nous avoue que le temps pour « réapprendre à vivre » est long et difficile, elle doit faire face à des remarques de collaborateurs, à une peur des déportés croyant qu'ils transmettaient des maladies. L'égoïsme des gens était aberrant, Marie-Jo en rigole presque maintenant, mais en réalité, cela l'a réellement marquée. Comme cette femme qui lui dit a son retour du camp : «  Vous avez ratée les meilleurs années de votre vie », « Encourageant... » ironise Marie-Jo. Son visage squelettique marqua les gens tout comme la silhouette de sa mère, qui était avant plutôt forte, fut à son retour d'une maigreur ahurissante. Mais Marie-Jo poursuivi des études en médecine où elle rencontra son mari, Pierre-Henry, un sociologue. Depuis elle retourne régulièrement dans ce camp de la mort qui est celui de Ravensbrück, elle entretient le devoir de mémoire. Son âme de résistante s'est réveillée lorsque elle appris la tortures pendant la guerre d'Algérie et se réveille encore lorsqu'elle entend parler de génocide rwandais. Elle rédigea et co-rédigea de nombreux livres tels que « Vigilance » ou « Toute une vie de résistance ».Entrée au Centre National de la Recherche Scientifique en 1954, elle a publié des nombreuses études sur l'enfance et l'adolescence. Elle a également beaucoup travaillé sur l'extrême droite , le "négationnisme" . Elle est très active à la Fondation pour la Mémoire de la déportation , qu'elle préside depuis janvier 1996. Son message est clair, aucun homme n'est supérieur à l'autre, et soyons vigilants car des vestiges de l'horreur qu'elle a pu connaître sont toujours là, quelque part, dans notre société.

«La déportation représente le pire du mal, mais hélas elle s'inscrit dans l'histoire. Ravensbrück ce fut l'extrême, une sinistre parodie d'une société réelle. Ce qu'il y a de commun entre le passé et le présent, c'est que des hommes s'autorisent à dire 'tu n'appartiens pas à la même espèce' et qu'il y est des régimes politiques qui leurs donnent l'opportunité de commettre d'horribles atrocités »

« L'histoire est un éternel recommencement, mais je garde toujours mon optimisme car de tous temps, il y a toujours eu des hommes et des femmes pour s'élever, dire 'non' et refuser l'inacceptable »

Merci à elle.

Geoffrey Pouget

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